Combinaison de l’activité partielle et du télétravail : employeurs ne négligez pas de décompter la durée du travail de vos salariés.

Une articulation « télétravail/activité partielle » sous étroite surveillance.

La Ministre du Travail, Muriel Penicaud, se félicitait dimanche 29 mars du succès du dispositif, rendu plus favorable, de l’activité partielle (ou chômage partiel) puisque 220.000 entreprises avaient, à cette date, demandé l’autorisation d’y recourir.

Dans le même temps, parce que bruissent déjà des rumeurs de possibles fraudes de la part d’employeurs qui auraient placé leurs salariés en activité partielle tout en continuant à les faire travailler normalement, la Ministre prévenait que l’inspection du travail procéderait à de nombreux contrôles une fois la crise terminée, son entourage précisant que, a minima, les employeurs devront rembourser les sommes qu’ils auraient ainsi indûment perçues.

Sans même s’être placés sciemment en marge de la loi, les employeurs qui combinent réduction du temps de travail de leurs salariés dans le cadre du dispositif d’activité partielle et télétravail pourraient être les victimes collatérales de cette « chasse », au demeurant légitime, aux opportunistes.

D’autant qu’au regard de ses déclarations et de ses diffusions en ligne, la Ministre du Travail n’appréhende le cumul d’une activité réduite en télétravail combinée avec une indemnisation pour chômage partiel que sous l’angle de la fraude en énonçant, par une formulation qui nous semble assez maladroite, un principe d’incompatibilité entre les deux situations (alors qu’elles ne le sont pas dès lors les heures chômées sont parfaitement respectées).

L’une des clés d’une combinaison sécurisée « télétravail/activité partielle » nous semble dès lors résider dans le décompte rigoureux de la durée du travail.

Les entreprises doivent donc se montrer d’une particulière vigilance sur l’organisation du télétravail « d’urgence », à la fois pour favoriser l’indemnisation du chômage partiel tout en limitant les risques.

En effet, les contrôles porteront notamment, et en premier lieu, sur la capacité des employeurs à justifier des heures travaillées par leurs salariés et donc, en creux, des heures chômées pour lesquelles ils auront présenté des demandes d’indemnisation.

Or, quoi de moins intuitif pour bon nombre d’employeurs, souvent dépourvus d’accord collectif ou de charte relatifs au télétravail, que de songer à contrôler et à décompter le temps de travail de collaborateurs placés, du jour au lendemain, en situation de télétravail ; collaborateurs eux-mêmes non habitués à cette forme de travail et doublement bouleversés dans leur quotidien associant, pour nombre d’entre eux, garde d’enfants, école à la maison et coworking familial forcé, plus ou moins propice à la concentration et à la productivité.

Pourtant, le télétravail n’exempte pas l’employeur du respect des dispositions de l’article D 3171-8 du code du travail aux termes desquelles, lorsque les salariés ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché (ce qui est plutôt le cas, a priori, des salariés en télétravail), la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée, d’abord, quotidiennement par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d’heures de travail accomplies, puis, chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d’heures de travail accomplies par chaque salarié.

Ce sont ces décomptes qu’il faudra fournir à l’inspecteur du travail qui se présentera dans l’entreprise pour vérifier, après la crise sanitaire, que les heures chômées déclarées et indemnisées correspondent à la réalité. Bien entendu, ces décomptes devront eux même correspondre à la réalité, et pas seulement avoir été établis pour les besoins de la cause, car l’inspecteur du travail ne se privera pas d’entendre, comme il en a le pouvoir, quelques salariés pour s’en assurer. Le Ministère du Travail invite d’ailleurs sur son site internet les salariés et les représentants du personnel à signaler aux DIRRECTE tout manquement à l’interdiction de travailler durant les heures indemnisées au titre du chômage partiel.

Obligation de droit commun, le décompte de la durée du travail présente dans ce contexte un enjeu majeur.

En pratique, à défaut d’avoir pu anticiper la mise en place de systèmes de télégestion des temps après consultation préalable du CSE et information individuelle de chaque salarié concerné, eu égard encore une fois aux circonstances, il n’y a guère d’autre alternative pour l’employeur que d’inviter les salariés à déclarer eux même le nombre d’heures de travail effectif quotidiennes qu’ils accomplissent (de préférence, d’ailleurs, à un décompte des heures de début et de fin de chaque période travaillée tant la répartition du travail à domicile sur une journée peut être relativement hachée), puis d’en établir un récapitulatif hebdomadaire qu’ils devront ensuite transmettre à leur supérieur hiérarchique pour validation et enregistrement. Confinement et distanciation sociale obligent, plutôt qu’une remise physique du décompte, à l’occasion de laquelle, en temps normal, salarié et l’employeur y apposeraient leur signature pour lui donner une valeur contradictoire et probante, un échange de courriels suffisamment explicite devrait pouvoir faire l’affaire (à condition de les conserver tous, bien entendu).

Ce décompte sera aussi, au passage, l’occasion de vérifier le respect des règles relatives aux durées maximales journalières et hebdomadaires, à l’amplitude journalière, au repos hebdomadaires ou encore aux temps de pause, autre écueil, qui n’est pas sans conséquences, du télétravail, loin du cadre de l’entreprise et du regard vigilant (c’est en tout cas ce qui est attendu) de l’employeur.

Pour les entreprises qui en sont dotées, il conviendra bien entendu de faire respecter la charte ou l’accord sur l’exercice du droit à la déconnexion ou de définir des règles en la matière s’il n’en existait pas encore

Dans tous les cas, les représentants du personnel, qui sont compétents en matière de conditions de travail, de recours au télétravail, de décompte et de contrôle de l’activité et de la durée du travail…devront être associés. Rappelons également que la mise en place du télétravail implique la prise en compte de la prévention des risques qui y sont inhérents (avec mise à jour du DUERP en conséquence), là encore en associant les représentants du personnel qui sont compétents en matière de prévention des risques.

Négliger le décompte de la durée du travail dans le contexte de la crise liée au covid-19 peut avoir des incidences graves.

Tout cela peut être vu comme une tracasserie de plus dans des moments où les préoccupations majeures ne manquent pas…mais il suffit d’examiner les conséquences d’un défaut de contrôle de la durée du travail des salariés placés en activité partielle pour prendre la mesure de l’intérêt de l’exercice.

Ne pas tenir de décompte priverait, en effet, l’employeur de la maîtrise de la durée du travail de ses collaborateurs qui peuvent, au fil de l’eau et selon une pente assez naturelle en télétravail, dépasser la durée qui leur est impartie dans le cadre de l’activité partielle pour répondre aux demandes de la hiérarchie, de collègues, de clients et parfois aussi parce que le nombre d’heures chômées a été mal calibré ou insuffisamment cadré lors de la mise en place de l’activité partielle. Si l’employeur n’a pas connaissance, ou ne peut évaluer, d’éventuels dépassements, il ne pourra pas réajuster le nombre d’heures chômées au moment de leur déclaration et risquera de solliciter à tort la prise en charge d’heures qui auront, en réalité, été travaillées.

Or, si à l’occasion d’un contrôle, il apparait à l’inspecteur du travail que, à entendre les salariés, leur activité n’était finalement pas aussi partielle que celle déclarée, si l’on y ajoute quelques courriels tôt le matin et tard le soir, après le diner, pour boucler une petite urgence… et si, en regard de tout cela, l’employeur n’est pas en mesure de produire un décompte conforme à l’article D 3171-8 du code du travail, la pente risque d’être difficile à remonter.

Comme les services de la Ministre du travail l’ont laissé entendre, la première des conséquences pour l’employeur sera le remboursement les indemnités d’activité partielle perçues, mais ce n’est pas la seule.

Il n’est ainsi pas exclu que l’URSSAF, en fonction des éléments qu’elle pourrait recueillir au cours des contrôles qu’elle aussi peut effectuer, procède à un redressement sur les indemnités d’activité partielle versées aux salariés, considérant qu’elles sont, en tout ou partie, la contrepartie d’un travail, s’analysant dès lors en un revenu d’activité soumis à cotisations salariales et patronales dans les conditions de droit commun et non éligible au régime social de faveur des indemnités de chômage partiel.

Ce même risque de redressement est identifié en cas d’indemnisation complémentaire par l’employeur (en vertu d’une disposition conventionnelle de branche ou d’un engagement unilatéral en ce sens).

L’URSSAF pourrait être encline, malgré les protestations de bonne foi de l’employeur dont la négligence lui paraîtrait trop coupable pour ne pas traduire une intention, à appliquer, outre à la réintégration des sommes versées dans l’assiette de cotisations, une majoration complémentaire de 40% sur la totalité du redressement pour dissimulation d’activité si plusieurs salariés sont concernés.

Ajoutons, pour faire bonne mesure, le risque de poursuites pénales si l’inspecteur du travail ou le contrôleur de l’URSSAF dresse un PV pour dissimulation d’activité, en l’occurrence d’emploi salarié, parce que le nombre d’heures de travail indiquées sur le bulletin de salaire est inférieur à celui réellement accompli ; une telle infraction est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45.000,00 € d’amende, outre, parmi les peines complémentaires, l’exclusion des marchés publics pour une durée de cinq ans au plus (articles L 8224-1 et L 8224-2 du code du travail).

On aura également à l’esprit les dispositions de l’article 441-6 du code pénal qui sanctionne le fait de « fournir sciemment une fausse déclaration ou une déclaration incomplète en vue d’obtenir ou de tenter d’obtenir, de faire obtenir ou de tenter de faire obtenir d’un organisme de protection sociale une allocation, une prestation, un paiement ou un avantage indu » de 2 ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende.

Certes, pour que ces infractions soient constituées il faut que soit établie une intention frauduleuse, et la simple négligence ne saurait en tenir lieu, mais le risque vaut-il vraiment d’être couru ?

Cet exposé des possibles conséquences d’une durée du travail mal maitrisée et non contrôlée des salariés en télétravail et en activité partielle, ne serait pas complet si n’était pas évoqué le risque venu de l’intérieur, celui auquel l’employeur est statistiquement le plus exposé : celui de l’action prud’homale individuelle.

En effet, un salarié en télétravail qui estimerait avoir travaillé des heures durant lesquelles il était censé être en chômage partiel peut réclamer un rappel de salaire correspondant à la différence entre le montant du salaire qu’il aurait dû percevoir et le montant de l’indemnité d’activité partielle qui lui a été versée. Or, il faut rappeler qu’en matière de litige sur la durée du travail, la preuve des heures effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties, le salarié devant simplement apporter des éléments suffisamment précis à l’appui de sa demande (Cass.soc. 18/03/2020 n°18-10919 FPPBRI), charge à l’employeur de fournir au juge des éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés, et, en particulier, le désormais fameux décompte prévu par l’article D 3171-8 du code du travail. Si plusieurs salariés prennent la même initiative, les montants peuvent rapidement être importants.

Les demandes de rappels de salaires peuvent, en outre, être assorties de demandes de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ou pour préjudice moral. Certains salariés peuvent décider de prendre acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur, ou encore d’engager une action en résiliation du contrat de travail, entrainant les effets indemnitaires d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu’une éventuelle condamnation de l’employeur au paiement d’une indemnité pour travail dissimulé égale à six mois de salaire, si le caractère intentionnel de la dissimulation ses heures travaillées est retenu.

Enfin, les entreprises qui n’auront pas pris les mesures nécessaires au contrôle et au décompte de la durée du travail dans le contexte actuel s’exposeraient également au risque d’une atteinte majeure à leur image et leur notoriété : le contexte de pandémie et l’importance des moyens financiers déployés par l’Etat pour soutenir les entreprises incitent à l’exemplarité et à une attitude encore plus responsable et citoyenne. On peut donc penser que les entreprises sanctionnées pour fraude au mécanisme de chômage partiel en feront aussi les frais en termes d’image (le fameux « name and shame »).

Démonstration est, à notre sens, ainsi faite de la nécessité de se plier à la contrainte que constitue le décompte individuel de la durée du travail des salariés placés pendant cette période de confinement successivement en situation de télétravail et d’activité partielle.

Stéphane JEGOU et Jasmine LE DORTZ-PESNEAU
Avocats associés, Pôle Social PARTHEMA.

Souce : https://www.village-justice.com/articles/teletravail-activite-partielle-decompte-duree-travail-trio-infernal,34512.html