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Un revirement historique : la fin des congés « gachés » pour cause de maladie

Le 10 septembre 2025 restera une date clé pour les droits des salariés en France. Par un arrêt très attendu (Cass. soc., 10 septembre 2025, n° 23-22.732), la Cour de cassation a mis fin à une jurisprudence vieille de près de 30 ans, en consacrant le droit pour un salarié de reporter ses congés payés lorsqu’il tombe malade pendant ses vacances.

Jusqu’à présent, la règle était simple : un arrêt maladie produit par un salarié alors qu’il était en congés n’était pas pris en compte, sauf si une convention collective plus favorable prévoyait le contraire. La Cour considérait que l’employeur avait rempli son obligation en accordant les congés, et que la maladie était un aléa personnel qui n’interrompait pas la période de repos.

Ce nouveau jugement opère un revirement complet en s’alignant sur une logique établie de longue date par le droit européen. Le raisonnement est fondé sur la finalité distincte des deux types d’absence :

  • Les congés payés ont pour objectif le repos, la détente et les loisirs.
  • Le congé maladie a pour objectif le rétablissement de la santé du salarié.

La maladie empêchant par nature le salarié de se reposer et de profiter de son temps libre, il est désormais jugé que ces deux périodes ne peuvent se confondre. Un salarié ne doit plus être privé de son droit fondamental au repos parce qu’il est malade.

Une mise en conformité inévitable avec le droit européen

Cette décision n’est pas une surprise, mais l’aboutissement d’un long processus de mise en conformité avec le droit de l’Union européenne. Depuis plus d’une décennie, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) affirmait qu’un salarié tombant malade pendant ses vacances devait pouvoir reporter ses jours de congés.

La pression s’est accentuée lorsque la Commission européenne a adressé une lettre de mise en demeure à la France le 18 juin 2025, lui reprochant de ne pas garantir ce droit et de violer ainsi la directive 2003/88/CE sur le temps de travail, qui vise à protéger la santé et la sécurité des travailleurs. Face à cette menace de sanction, la Cour de cassation a franchi le pas, écartant la jurisprudence nationale au profit d’une interprétation conforme au droit de l’Union.

Modalités pratiques et la rétroactivité

Ce nouveau droit au report n’est pas automatique et est soumis à des conditions et à des incertitudes qu’il faut maîtriser.

L’obligation du salarié : notifier son arrêt de travail

Pour bénéficier du report de ses congés, le salarié doit impérativement informer son employeur de son arrêt maladie et lui transmettre un certificat médical, en respectant les délais et procédures habituels prévus par l’entreprise (généralement 48 heures). Sans cette notification formelle, le droit au report ne peut être exercé.

L’incertitude de la rétroactivité

En droit français, un revirement de jurisprudence est en principe rétroactif : il s’applique aux situations passées non encore jugées définitivement. Un salarié pourrait donc, sur le papier, revendiquer le report de jours de congés perdus par le passé, à condition que son action ne soit pas prescrite. L’action en paiement de salaires (ce qui inclut l’indemnité de congés payés) se prescrit au delà de 3 ans.

Cependant, il convient de rester prudent. Seul un nouveau texte de loi ou un décret, qui interviendra probablement pour encadrer les effets de cette décision (comme la loi DDADUE), pourra clarifier l’étendue de cette rétroactivité et les modalités précises du report (notamment sa durée, qui pourrait être fixée à 15 mois par analogie avec la loi de 2024).

L’autre révolution : congés payés et heures supplémentaires

Le même jour, la Cour de cassation a rendu une seconde décision aux impacts potentiellement encore plus vastes (Cass. soc., 10 septembre 2025, n° 23-14.455). Jugeant que la non prise en compte des congés payés comme temps de travail effectif pouvait dissuader un salarié de prendre ses congés en lui causant un préjudice financier, la Cour a décidé que les périodes de congés doivent désormais être prises en compte pour déterminer le seuil de déclenchement des heures supplémentaires.

Application immédiate et rétroactivité : un risque financier à ne pas ignorer

Sur ce point, l’incertitude est moindre sans être balayée. Le principe de rétroactivité de la jurisprudence s’applique naturellement. Un salarié peut donc réclamer un rappel de salaire pour des majorations d’heures supplémentaires non payées par le passé. Cette action est limitée par la prescription de trois ans sur les créances salariales. Concrètement, un salarié pourrait réclamer des régularisations sur les trois dernières années.

Contrairement à d’autres sujets qui ne concernent que des situations spécifiques (arrêts longs, etc.), cette nouvelle règle de calcul peut impacter un plus grand nombre grand nombre de salariés. Le passif social potentiel est donc beaucoup plus diffus et important. Attendre une loi pour se mettre en conformité est une stratégie plus risquée ; l’arrêt de la Cour s’applique immédiatement et la seule démarche sécurisante est de modifier sans tarder les paramétrages de paie et de GTA.

L’impact sur les systèmes de Paie et de GTA

Ces changements exigent une adaptation rapide des logiciels de paie et de Gestion des Temps et Activités (GTA).

  • Pour le report de congés : Le logiciel doit permettre d’interrompre un décompte de congés, de basculer sur une absence maladie, puis de re-créditer automatiquement les jours non pris, tout en assurant une traçabilité parfaite de l’opération. Autrement dit, un motif arrêt maladie doit être prioritaire et désactiver le décompte des congés présent sur la même période. Il reste une solution de contournement manuelle, en modifiant la période de congé (en la réduisant ou en la découpant) et en intercalant une période d’absence Maladie.
  • Pour les heures supplémentaires : Le moteur de calcul de la paie ou de la GTA doit être reconfiguré rapidement. Il doit désormais assimiler les jours de congés payés à du temps de travail effectif pour l’appréciation du dépassement du seuil hebdomadaire de 35 heures (ou supérieur en cas de RTT).

Et les RTT? Une nature juridique différente

Face à ces évolutions, certains pourrait se poser une question : ces nouvelles règles s’appliquent-elles aux jours de Réduction du Temps de Travail (RTT)? La réponse, en l’état actuel du droit, est non.

La raison tient à la nature juridique fondamentalement différente des congés payés et des RTT :

  • Les Congés Payés sont un droit fondamental au repos, garanti par le droit européen, visant à protéger la santé et la sécurité du salarié. C’est ce principe supérieur qui justifie les décisions de la Cour de cassation.
  • Les Jours de RTT ne sont pas un droit au repos fondamental, mais un mécanisme de compensation. Ils sont la contrepartie des heures de travail effectuées au-delà de la durée légale de 35 heures par semaine. Leur existence et leurs modalités sont définies par un accord collectif.

Par conséquent :

  1. Report en cas de maladie : Sauf si l’accord collectif le prévoit explicitement, un jour de RTT dont la date était déjà fixée et qui coïncide avec un arrêt maladie est généralement perdu. La jurisprudence admet que l’acquisition des RTT puisse être liée au temps de travail effectif, et donc réduite en cas d’absence.
  2. Prise en compte dans le calcul des HS : Les jours de RTT ne sont pas pris en compte dans le calcul du seuil des heures supplémentaires, car ils sont précisément la contrepartie des heures effectuées entre 35h et la durée fixée par l’accord. Ils ne sont pas assimilés à du temps de travail effectif pour ce calcul.

Agir pour sécuriser vos pratiques

Les décisions du 10 septembre 2025 imposent aux services RH une réactivité pour :

  1. Mettre à jour les paramétrages : C’est la priorité absolue pour le calcul des heures supplémentaires afin de stopper le risque de contentieux.
  2. Auditer le passé récent : Évaluer le risque de rappel de salaires sur les trois dernières années concernant les heures supplémentaires et provisionner ce risque si nécessaire.
  3. Adapter les procédures internes : Communiquer aux salariés leurs nouveaux droits et les modalités de notification en cas de maladie pendant les vacances.
  4. Contacter les éditeurs de logiciels : S’assurer que les solutions de GTA et de paie sont ou seront rapidement mises à jour pour intégrer ces nouvelles logiques.
  5. Former les managers : Les sensibiliser à ces nouvelles règles pour qu’ils puissent répondre correctement aux demandes de leurs équipes.

Dans un paysage juridique en constante évolution, la conformité et la fiabilité des processus RH reposent plus que jamais sur des outils performants et agiles.

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