Le temps de travail, et ses fameuses 1607 heures, sera l’un des chantiers sensible à conduire par les collectivités, en 2021. Deux élèves administrateurs de l’Inet livrent, dans cette tribune, leur analyse.

Source : La Gazette des communes

Jean-Baptiste Werquin-Farjot, et Giacomo Siiriainen, élèves administrateurs territoriaux, promotion Abbé Pierre, Inet

“Passer aux 1607h”. La formule est désormais bien connue et les Communes, premières à devoir se conformer à la loi de transformation de la fonction publique d’août 2019, ont désormais moins de 6 mois pour délibérer en ce sens.

Bien entendu, il était nécessaire, au nom du devoir d’exemplarité des collectivités, de prévoir la disparition de certains jours de congés supplémentaires devenus surannés (à l’instar des fameux « jours du maire ») et force est de reconnaître que la durée annuelle moyenne effective de temps de travail demeurait inférieure dans les collectivités (selon le rapport sur l’état de la fonction publique 2020, cette durée serait de 1587h, soit une durée inférieure à celle des autres versants de la fonction publique (1640h hors enseignants) et du secteur privé (1711h)).

Si le décompte du temps de travail des agents territoriaux est effectivement réalisé sur la base d’une durée annuelle de travail de 1607h, il faut rappeler que cette durée est avant tout théorique. Elle ne tient pas compte des différents évènements l’augmentant, au premier rang desquels les heures supplémentaires, et c’est pourquoi la loi renvoie parfois aux agents une image aux antipodes de la manière dont ils vivent leur charge de travail.

Cette réalité va bien au-delà de la surcharge de travail des seuls cadres et l’extension du télétravail peut l’accentuer (cette problématique était déjà soulignée par Philippe Laurent dans son rapport sur le temps de travail de la fonction publique (2016), mais elle a malheureusement été, comme d’autres éléments, quelque peu occultée par les données les plus “chocs”). Cela renvoie à l’enjeu de la déconnexion que doivent assimiler les managers, mais aussi les élus dans leurs relations aux agents. Il est donc indispensable d’intégrer cet élément dans les chartes du télétravail et d’étendre quelques bonnes pratiques (envoi de manière différée des mails, signalement dans la signature que la réponse n’est pas urgente, l’arrêt des mises en copie inutiles ou abusives, etc.).

Toutefois, nous regrettons que ce discours occulte dans les médias grand public les situations inverses, c’est-à-dire celles des agents qui travaillent bien au-delà des 1607h annuelles, ou dont l’organisation de la semaine de travail est particulièrement atypique.

Heures et jours stockés

La question du report de la prise de repos est aussi un élément trop souvent occulté. Il s’agit d’abord du stockage de jours de congés et de RTT dans les comptes épargne temps. Bien entendu, cela permet une plus grande souplesse personnelle dans l’organisation de l’année.

Certainement plus problématique, la pratique du stockage d’heures et de jours de repos compensateurs consécutifs à la réalisation d’heures supplémentaires (les jours dits “de récupération”) doit être soulignée . Si la Cour des comptes a récemment évoqué le risque financier que cet “engagement hors bilan non documenté” (Cour des comptes, “les heures supplémentaires dans la fonction publique”, octobre 2020) représente pour les collectivités, il est, en outre, intellectuellement et socialement étonnant de cumuler, parfois année après année, des heures qui servent justement à se reposer après un surcroît de travail. Cela n’est pas marginal puisque ce sont ainsi 6,2 millions d’heures qui ne sont ni payées ni récupérées (mais stockées), et cela bien que les collectivités aient une préférence pour l’indemnisation des heures supplémentaires (56,3 % en 2018). Au total, la Cour relève que “le risque de substitution des heures supplémentaires à des créations de postes est bien réel”.

Garanties minimales de repos

Il n’est aussi pas rare que des organisations aient du mal à respecter les garanties minimales de repos, notamment au sein de la filière culturelle ou de la police municipale, souvent du fait de métiers en tension.

Enfin, il nous semble indispensable de rappeler à quel point certaines organisations du travail peuvent être atypiques. Parmi les 231 métiers officiels de la FPT, nombre d’entre eux assurent des services essentiels fonctionnant 24h/24 et 7jrs/7, et la crise sanitaire en a mis en lumière quelques-uns, notamment dans les EHPAD. Aussi, le travail le dimanche concerne 28% des agents de la FPT contre 25% dans le privé et 11% des agents déclarent travailler la nuit (soit seulement 3 points de moins que dans le secteur privé).  Nous pourrions encore ajouter les journées longues continues (qui peuvent parfois atteindre 10h chez les ATSEM).

Il n’est pas rare non plus qu’un même agent cumule des facteurs de pénibilité qui peuvent légalement justifier une réduction du temps de travail (Article 2 du décret n°2001-623 du 12 juillet 2001). A cet égard, peu de collectivités sont dotées d’une réelle stratégie de prévention et de reconversion professionnelle. Pourtant, et contrairement aux idées reçues, la carrière d’un fonctionnaire territorial est plus longue que celle des salariés du privé (42 ans et 9 mois dans la FPT contre 40 ans en moyenne dans le privé).

La loi du 6 août 2019 constitue donc l’opportunité d’ouvrir le chantier, plus large et pertinent, de la refonte des organisations du temps de travail. À condition toutefois d’en avoir le temps…